Ch I

P 1

-Vite, vite, y en a vite levé! Monsieur l'inspecteur Denis attend Monsieur en bas.
L'heure de la sieste, dans les pays tropicaux est sacrée. Au Cambodge, elle est particulièrement savoureuse et j'en gouttais la douceur. N'allez pas croire que l'on plonge dans l'inconscience de la brute, dans un sommeil sans rêve...Pendant la sieste le corps affaibli par la chaleur, se repose, se détend dans une pièce où les volets jaunes donnent un peu de fraîcheur...Dans la pénombre, les yeux mi-clos, on se laisse envahir, par une torpeur quasi sensuelle et presque voluptueuse. Les effluves violents des Bougainvilliers et des fleurs de thiampa se reperdent dans l'air, les bruit familier du dehors arrivent à vos oreilles, atténues et comme ovales par une brume impalpable.

-Monsieur descendre vite, insista le boy.
-Eh bien, qui as t'il mon ami?
-Ah, docteur, vous ne savez pas...quel affreux malheur, MDamien a été assassiné! Ah docteur, c'est un crime, un crime au Cambodge, c'est invraisemblable!
p 10
La réputation dont jouissait M.Damien n'était guerre brillante. Il inspirait aux indigènes une crainte presque superstitieuse.
Pour ma part, je n'avais eu qu'a me louer de lui, il m'avait dés le début pris en amitié.
Monsieur Damien avait une fille, une ravissante créature de vingt ans. Mon voeu le plus cher eu été de l'épouser. Mais Janine sans ménagement me fit entendre qu'elle entendait seule disposer de sa main. Elle avait résolu de se marier avec un ridicule petit métisse de Pnom Penh, un certain Marc Antoine Monirol, et son père, ni par la douceur, ni par la menace, n'avait réussi à lui faire changer d'avis.
p 14
M. Damiens habitait, sur la rive gauche de la rivière Simreap, une jolie maisonnette derrière une haie d'areqiers aux fûts élancés et il ne sortait guère de chez lui que pour aller au chemin qui mène à Angkor, bavarder de temps à autre avec le vieil évêque bouddhiste ou avec le missionnaire catholique à la barbe blanche. Rien ne l'attirait sur le bord du Barai...
p 17
La mort mystérieuse de cet homme m'oppressait. Et puis, je me souviens que s'il n'avait tenu qu'a lui, j'aurai pu le traiter comme un père! Un père, c'était le père de Janine, La jeune fille s'était bien mal conduite avec moi. Elle s'était toujours montré hautaine et sèche et elle ne m'avait jamais témoigné que du dédain.
-Pauvre petite, qui va se charger de lui annoncer la fatale nouvelle.
p 18
Mes appréhensions avaient été vraies : Janine Damien était une maîtresse femme, elle ne montra d'émotion que juste ce qu'il n'en faut à une jeune fille bien élevée.
-Mon pauvre père! Mais c'est affreux! soupire t elle, les yeux secs et la voix ferme.
Son chagrin, elle l'avait sans doute caché bien profondément dan son coeur, car il n'en avait rien transpiré, se trouva par ailleurs vite apaisé. Le pauvre Damien s'était plusieurs années auparavant , assuré sur la vie...
Ce fut une dot inespérée. Quelque jours après cette aubaine, la jeune orpheline rayonnante épousait la mari de son choix.

Ch II
p 19
La mort du père Damien restait entourée de mystère, les quelques européens de Siemreap avaient trouvé préférable de n'y plus penser. Les blancs n'aiment guerre ce qu'il ne comprennent pas.
p 20
Ce meurtre avait vivement frappé l'esprit des cambodgiens dont la vie se passe dans la crainte du surnaturel. Sur cette terre couverte de sombres forêts bruissantes, sur cette terre où les ruines prodigieuses d'un passé oublié domine encore le présent, le monde fantastique des génie, des revenants et des dieux devient pour les descendants de l'antique race khmère, une réalité beaucoup plus tangible que l'univers sensible dans lequel il se meuvent.
Gardez vous de vous aventurer après le coucher du soleil dans certaine régions interdites pour la tradition populaire, il vous arriverez malheur.
Parfois, sans le vouloir, on offense les génies. Tamis pour l'imprudent! Les hôtes de l'invisible se vengent à coup sûr et ne pardonnent jamais.
p 21
La femme de Monsieur Damien morte depuis de longues années avaient été enterrée dans une propriété appartenant à son mari. Le pauvre homme oublieux avait vendu à un chinois un bout de terre où dormait la défunte. Les morts plus encore que les vivants ressentent les affronts qu'on leur fait. Le fantôme de Madame Damien s'était acharné sur son mauvais époux. C'était le Kchnoi irascible qui avait magiquement incité le malheureux à se promener sur les bord du Baroï.
P 24
Damien, c'était le " trader " dans toute son horreur tel que le dépeint Stevenson et Conrad.
Il était venu en Indochine sur un coup de tête comme tant de cerveaux brûlés l'on fait à l'époque de la conquête.
C'était là qu'il s'était établi, rayonnant à travers l'ancien royaume khmer à la recherche des combinaisons les plus louches.
p 26
On parlait à voix haute d'un chinois avec lequel pour une affaire de contre bande d'opium, il s'était associé et qui avait disparu dans des circonstance assez troublante.
P 27
Constamment hors de chez lui, roulant en auto sur les routes du Cambodge, passant à Saïgon des nuits entières dans les tripots et des maisons crapuleuses, à quel moment aurait-t-il trouvé le moyen de rester seul face à face avec lui même.
Etait il heureux, je ne le pense pas.
p 30
Sa fille qui devait avoir seize à dix sept ans était à Hanoi dans un pensionnat, il ne l'avait pas revu depuis l’âge de 6 ans.

Ch III

La vie est en général si touffu et si complexe que l'on ne s’aperçoit pas, sur le moment, de l'importance des événements qui marquent nos destinés.
Dans une oeuvre d'art, tel détail que l'on avait même pas remarqué sur l'esquisse ne prendra sa signification qu'a l’achèvement de travail. Ainsi en ce qui concerne Monsieur Damien, avais je eu connaissance du fait qui devait exercer sur son sort une merveilleuse influence.
P 32
C'était le mois d'Asoch, ce mois pendant lequel, sous des trombes d'eau et les bourrasques, le pays cambodgien prend un aspect de désolation infinie.
Damien se laissa tomber dans un fauteuil de rotin. Mais non, mais non, tout va bien, explique-t-il.n En passant chez vous j'ai aperçu de la lumière dans votre bureau, alors j'ai voulu vous serrer la main, bigre, quel sale temps...
Me croyez vous docteur, la mort, c'est la première fois que j'y songe.
P 34
Bah, fis je assez vulgairement, au bout du fossé la culbute!
P 35
Il aperçut la propriété de mon ami Sim. Dans le jardin, devant sa demeure, des serviteurs allaient et venaient.
Il avait de l’excellent choum, un petit verre me donnait des idées clairs pour discuter avec mon débiteur
La politesse est une des vertus primordiales de l'antique race khmère. Il saisi la pipe d'opium que son boy, allongé de l'autre coté du plateau lui offrait et s'éleva doucement et avec peine à hauteur de ses yeux.
-Voici ma dernière pipe murmura-t-il. Le sublime m'accordera le souffle nécessaire pour la fumer et puis je rentrerai dans son sein.
Il attacha une seconde sur moi ses prunelles déjà à demi éteintes mais où brillait une grande pitié.
-Ami, fit il avec une nuance de reproche, attention, vous vous attachez trop à la vie...
-Allons adieu et que la mort vous soit douce! Il aspira longuement la fumée apaisante et sans force laissa tomber sa pipe à ses coté. Sa tête oscilla, comme un fruit trop mûr en sa tige et s'immobilisa sur sa natte. Un sifflement pénible sortait de sa bouche entrouverte. Son âme flottait déjà peut être dans une région plus sereine.

Ch IV

P 52
Un matin il s'était éveillé avec des remords. En quoi consistait ce remords? Sur la route de Siemread à Angkor, pas très loin des ruines, vivait une métisse, assez jolie fille d'ailleurs nommée Rirette, qu'il aurait aimé quelques années auparavant. Cette Rirette l'avait cependant cependant retenue prés d'un an puis, un beau jour, il l'avait quittée avec sa brutalité coutumière. La jeune femme avait eu un bambin de deux ans qu'elle adorait. Elle l’élevait seule. Savait elle même qui en était le père?

Ch VI

Le changement d'attitude du père Damiens avait été remarqué et longuement commenté par les cambodgiens aussi observateurs que bavards. Rien n'est plus terrible au Cambodge que l'accusation de sorcellerie, on ne sait jamais exactement comment elle prend naissance. Il suffit parfois d'un simple bavardage, d'une parole en l'air.

Ch VII

P 67
A cette époque en effet, le grand vent règne en maître sur l'antique royaume de Kamputhia. La mousson boréale gonflée de jeunes énergies à la tête de son armée de nuée se précipite furieusement au fond de l'horizon contre son adversaire la mousson du sud, qui pendant six mois se déverse sur les champs, les forêts et les fleuves grossissant des trombes de pluie chaude. Saison heurtée, un jour l'ouragan arrache les feuilles flétries des banians, le tonnerre gronde sans arrêt, une pluie mauvaise crible la terre de se milles points d'aiguille et le lendemain, un soleil convalescent verse sur le sol détrempé ses timides rayons.
P72
Dans cette atmosphère cambodgienne où les actes de l'invisible à chaque instant vous frôlent, les natures les plus réfractaire à l’idéalisme, sentent confusément l’existence d'autre chose. Ainsi, Monsieur Damien depuis que la vie intérieure lui était apparu dans son magique flamboiement, avait il l'intuition que la mort n'était pas un mur cachant le néant mais bien au contraire une porte ouverte sur l'infini. Mais que de mystère dans cette infini.
P 73
Au milieu de la plaine monotone , des bambous, geyser d’émeraude, ou des palmier à sucre, pareils aux plumeau métallique dont se servent les ramoneurs, formaient des bouquets de verdures agaillant un peu le regard.
P 74
Sa femme Nen, était une très jolie fille, issue de l'antique race khmère, elle avait grandi chez ses parents Cambodgiens de pure races qui possédait de belles terres dans la province de kampongtour. L'avait il épousé par amour où l’intérêt l'avait il seul guidé?
P 75
Nombreuses dans le pays étaient elle à qui il donnait des témoignages non équivoques de ses ardeurs. Il rentrait au logis, arrogant en maître aux caprices desquelles les esclaves n'ont qu'a se soumettre. Sa pauvre femme, amoureuse tremblante devant l'idole, n'aurait eu garde de lui reprocher quoi que ce fût
P77
Pourquoi avait il fallu qu'il s'éprit alors d'une américaine, belle créature sportive que la renommée d'Angkor avait attiré à Constantinople? Il l'avait installé chez lui malgré les protestations. Oh, bien timides de la malheureuse. Non qu'il avait eu l'ignominie de la faire passer pour sa servante. Et comme l'enfant gênait sa lune de miel illégitime, il l'avait sans remords expédié avec la mère chez les grand parents de Kompoag-Tom. L'américaine, un peu plus tard avait repris sa course aventureuse à travers le monde Jacques Damiens ne s'était souvenu de sa famille que lorsque les circonstance l'y avais obligé. Quelques années après, Men, miné par le chagrin, s'était éteinte. Dans une lettre émouvante, elle suppliait le père de s'occuper de la petite Janine, dont les grand parents pouvaient d'un jour à l'autre mourir. Avez-t- il revue la fillette à l’époque? Il ne s'en souvenait même plus. Elle devait avoir six ans.
il avait écrit à son gérant de Siemread de conduire la gamine à Hanoi et de la mettre en pension.
Cette rapide exploration de son passé l'emplissait d'indignation et de honte. Pouah! Il éprouvait la même sensation de malaise que devant les bêtes hideuses qui se cachent dans la vase des marais.

Ch VIII

P 80
Au Cambodge, tous les européens se connaissent et les nouvelles se propagent avec une rapidité stupéfiante de sorte qu'un événement survenu aujourd'hui à Battambourg sera le lendemain communiqué à Kampot, avec les détails les plus précis.
Ou était il allé?
-A la bronzerie d'Angkor-wath.
A la bronzerie, répéta, abasourdi Filippi, en voila une idée!
-Mais non répliqua calmement Jacques Damien. On incinère Sin.
P 87
L'athiarr ( laïc chargé de l'administration de la bonzerie ) ayant choisi un jour faste avait fixé l’incinération pour cette après midi.
P88
Puis l'athiar pris la tête du cortège, derrière lui, marchaient les enfants du mort, les fils et la fille portant un recule blancs qui lui cachait le visage, ils distribuaient sur le passage, pour la plus grande joie des enfants de la menue monnaie mêlée de grain de riz décortiqués.

Ch IX

Les deux amis arrivèrent comme ils l'avaient prévu vers les dix heures du soir dans la rue Catinat ruisselante de lumière, c'était l'époque heureuse de Saigon, comme une jolie femme étincelante de bijoux, accueillait une chanson aux lèvres, tout ceux qui la venait visiter.
-Ou Moussou are
ter? Demanda le chauffeur.
Tu as soif n'est ce pas? déclara avec autorité Filippi sans attendre la réponse de son camarade. Allons prendre une bouteille de champagne au Continental.
Des le lendemain le trader expédia à Hanoi un télégramme à sa fille le priant
de rentrer définitivement à Siemreap sans tarder.

Ch X

Je me plaisait surtout à revenir dans la forêt d'Angkor, au milieu des ruines, je marchais lentement car les pierres moussus sont glissantes sur le chemins encombré de pierre et de ronce qui mène à Prak-Khan. Une lumière indéfinissable qui semblait filtrée à travers une voûte gigantesque, baignait les blocs de pierre, les débris de sculptures, accentuant encore la mélancolie de ses lieux.
P 109
Les arbres s'étaient en effet, lancé, à l'assaut des pierres: figuiers, banians, fromager, s'arqueboutaient contre les voûtes, renversaient les corniches, bousculaient les dalles, transperçaient les colonnes.
P 111
Je le quittai devant la chaussée d'Angkor-vath, sur laquelle on apercevait des bonzes qui rentraient dans leurs ermitage.
la parole, se sont peut-être eux qui on la vérité.

Ch XII

P 112
J'ai su plus tard, par le krou de la bonzerie d'Anghor à quel point le trader, à cet époque se trouvait désemparé dans le tourbillon des idées confuses, deciminées à travers son cerveau. Cet homme qui avait toujours était plongé dans la matière, avait eu brusquement la révélation du monde spirituel.
P 121
Des arbres séculaires, flamboyants, kakis, manguiers, répandent au dessus de ce minuscule village, leur ombrage protecteur. C'était là qu'habitait le supérieur bouddhiste, vieillard de quatre vingt ans, dont la renommée de sainteté était venue jusqu'aux oreilles du trader.
P 124
Oh, vieillard, supplia-t-il, l'ouragan a soufflé sur mon coeur, mes yeux ne voient que deuil et souffrance! Il y a sur le visage de tes bonzes une telle paix intérieur et dans tes propres prunelles un si divin rayonnement que j'ai foi dans le sublime, j'ignore sa doctrine, mais je te conjure de m'ouvrir les yeux. Le vieillard connaissait la réputation de son interlocuteur, de longue date. La nature humaine lui était trop familière, pour qu'il eut besoin d’écouter la confession de son hôte. Il avait par intuition immédiatement compris dans quelle anxiété se débattait le malheureux.
P 127
C'est le Samsara avec ses illusions et ses déceptions, qui entretiennent l'homme dans un perpétuel état de désir qui ne se réalisent jamais. Si l'homme pouvait une bonne fois comprendre que tous ces maux proviennent de cet appétit inconscient de vivre, il serait immédiatement sauvé. Car c'est cette flamme vitale, qui s'obstine à ne pas s'éteindre, qui le précipite dans la chaîne sans fin des existences toujours renouvelées.
P 128
Le Krau expliqua longuement en quoi consistait cette intangible loi du karma. Tout être supporte les conséquences de ce qu'il a fait. La nature de notre vie actuelle dépend des mérites et des fautes de nos précédentes existences. Seul le karma permet d'expliquer l'apparent illogisme de la destinée humaine.
P 132
Mon fils, la vie mondaine ne repose que sur l’égoïsme et l'ignorance.
Viens me voir chaque fois, que tu le voudras, la pagode est toujours accueillantes aux coeurs tourmentés.

Ch XII

P 134
Les affaires m'ennuient, l'argent, je n'en ai cure, la table m'est égale, l'amour, Pouah! à mon âge, quelle bassesse! Non, véritablement, conclut il, je quitterais demain sans regret ma maison de Siemreap, mes meubles confortables, mon jardin plein d'oiseaux...Grisé par sa propre pensée, il se représentait déjà dans sa robe safran.
P 136
Mao couru à sa rencontre, il tenait un télégramme à la main. Jacques Damien le décacheta sans hâte.
-Ah sapristi! murmura-t-il, la dépêche emmenait en effet de sa fille et elle le prévenait qu'elle arriverait le lendemain matin.
P 138
Sous son costume de petite vierge bien sage, à peine émancipée du collège, elle avait néanmoins une beauté rayonnante. Son visage au teint mâte, légèrement bronzé semblait mangé par deux yeux noirs à la fois étincelants et veloutés, de ses yeux où le regard est véritablement une caresse.
P 141
Mon enfant, crois-tu que tu te plaira ici?
- Mais je l'espère fit-elle?
Le vieux trader éprouva alors confusément qu'il n'était pas encore mûr pour le détachement absolu des bouddhistes.
P 145