JEAN DORSENNE
ou l'exotisme accompli
Extrait de la Thèse de Daniel MARGUERON :
" Essai sur la littérature française d'Océanie"
Octobre 1986 - Université Paris XII
1er prix du concours Thèse-Pac décerné par l'association
pour la diffusion des thèses sur le pacifique francophone
Bien peu de personnes connaissent aujourd'hui l'écrivain Jean Dorsenne, dont un roman "C'était le soir des Dieux obtint quelques voix au prix Goncourt de 1927. Parmi les écrivains océaniens qui sont mentionnés dans ce chapitre, il est le seul à mériter totalement cette appellation eu égard au nombre de ses productions consacrée à la Polynésie : douze titres entre 1926 et 1938.
Toute la création littéraire de Jean Dorsenne peut s'appréhender sous l'angle de l'exotisme, art et méthode dans lesquels cet auteur s'est épanoui. Son oeuvre nombreuse et variée trouve naturellement sa place dans le cadre de notre recherche, d'autant qu'il n'existe pas à notre connaissance, d'appréciation d'ensemble sur elle.
Nous porterons notre intention sur son roman historique " C'est la reine Pomaré ".
Indiquons en premier lieu que, parmi la volumineuse littérature océanienne, on rencontre peu de romans historiques; pourtant, ce n'est pas la matière qui fait défaut : en effet depuis la découverte des îles et leur entrée dans le corpus de l'histoire européenne d'abord, mondiale ensuite, les événement susceptible de servir de toile de fond à des récits de fiction n'ont pas cessé de prendre place dans ce pays, lieu privilégié de confluence diverses. L'absence d'historiens crédibles de la Polynésie et d'une histoire complète a peut-être eu raison de la curiosité des écrivains.
Les travers inhérents au roman historique en tant que genre, sont essentiellement de trois ordres:
-Falsification de l'histoire réelle ( le romancier déduit souvent les personnages de ses sources et de ses conceptions.
- Anachronisme ( le romancier prêté des sentiments, formule des jugements, et. qui sont déplacés par rapport à l'époque )
- Inexactitude des lieux, des noms, des dates, des caractères ou des situations.
Lorsqu'il n'est pas d'une rare qualité, le roman historique apparaît comme prisonnier de sa double nature : du point de vue de l'historien il n'a pas la rigueur scientifique qui lui assure sa crédibilité et sur le plan littéraire on trouve sa fiction bridée par des contraintes nécessaires à un certain respect de l'histoire.
Le roman:
Dans le genre cependant, il faut mentionner quelques titres avant de présenter celui de Jean Dorsenne de manière plus complète. En 1952, Albert T'Serstevens publie le roman " la grande plantation " qui raconte l'aventure cotonnière d'Atimaono ( 1864-1868 ) avec en toile de fond l'idylle - inventée entre la femme du gouverneur la roncière (Clémence) et l'aventurier (Stuart).
Robert Merle ( Prix Goncourt 1949) pour Week-end à Zuydcoote) raconte la révolte du Bounty en 1962.
Plus récemment, en 1984, une métropolitaine installée depuis peu à Tahiti, commençait la publication d'une saga polynésienne, dont nous avons effectué une critique pour le bulletin de la société des études océaniennes; il faut dire que ce roman de Colette Geslin, Vanaa ou la loi des ancêtres, est l'exemple type à ne pas suivre dans ce genre littéraire.
En 1934, Dorsenne fait paraître le roman "c'est la reine Pomaré" qui est sous-titré: Scènes de la vie polynésienne.
L'histoire:
La reine Pomaré IV a régné de 1827 à 1877 et reste l'un des personnages dominants de l'histoire contemporaine de Tahiti; d'ailleurs sa réputation d'ailleurs sa réputation s'est établie au delà des mers, puisqu'elle a inspiré certains chansonniers français, ainsi que le rappelle le père O'Reilly dans son livre "Tahiti au temps de la reine Pomaré" :
C'est la reine Pomaré:
Ré Ré Ré Ré
Qui l'hiver comme été (Bis)
A pour toute tenue
Nu Nu Nu Nu
Qu'un bout de plumes."
Entre 1827 et 1877, la Polynésie va vivre une période déterminante de son histoire. Lorsqu' Aimanta monte sur le trône, le christianisme a triomphé du paganisme depuis douze ans, les missionnaires anglais confortent leur oeuvre lorsqu'en 1828 apparaît un mouvement syncrétique mi-chrétien mi païen qui met en péril l'église naissante: Les Mamaia. En 1834, arrive les premier missionnaires catholique; c'est le début de sourdes luttes d'influence qui dépassent rapidement la dimension religieuse pour devenir politique ( Angleterre = protestantisme, France = catholicisme ). Apres le refus de l'Angleterre d'octroyer le protectorat à Tahiti qui le réclamait, la reine en date du 9 septembre 1842 demande au roi des français " de nous prendre sous sa protection ", et il l'accepte l'année suivante. Aussitôt se déclare la guerre de Tahiti, menée par les chef hostiles à la France qui va durer jusqu'en 1847; les missionnaire anglais quittent peu à peu Tahiti, les premier pasteur français arrivent en 1863. La France établit son administration, rogne régulièrement sur les prérogatives royales et trois ans après la mort de la reine Pomaré Vahiné IV, la France annexe Tahiti (1880), qui devient ainsi une colonie à part entière.
Le roman
Si l'on veut, d'entrée de jeu, donner un aperçu du roman " C'est la reine Pomaré ", on peut dire qu'il évoque du point de vue français, la lente lutte d'influence que se sont livrées les missions protestantes anglaises et catholiques françaises en vue d'établir la domination politique de leur pays respectif sur Tahiti, tout au long du règne de la reine Pomaré.
La bibliographie sur laquelle repose ce roman historique et qui atteste des recherches de l'auteur en vue de connaître par le détail les situations concrètes de cette époque indique que Dorsenne a cherché sa documentation tant du coté anglais ( six ouvrages cités ) que français ( vingt sept livres en référence ). Ses sources proviennent des récit des navigateurs, de missionnaires protestant et catholiques, d'essais politiques et de romans. Hélas, à cette profusion d'appuis divers ne répondent guère les nuances attendues dans l'appréciation des faits. Jean Dorsenne présente une vision simplifiée, manichéenne des hommes et des enjeux en présence; il n'a pas de mots assez durs pour qualifier l'action des missionnaires anglais, tandis qu'il caresse une grande sympathie en direction des prêtres catholiques et de l'administration française.
Des le début du livre, l'auteur présente la conscience polynésienne des années 18.. comme partagée entre la nostalgie des délices de la vie passée, païenne et licencieuse, et les rigueurs de la mise en place de " l'ordre missionnaire" sue les îles de la société. En reprenant des tableaux enchanteurs à la Bougainville, Dorsenne suggère un passé mythique et nie la dureté de l'existence pour un peuple soumis à ses devoirs, aux infanticides et aux guerres, dureté attestée par des récits d'ethnologues ou d'observateurs avertis. Ce passé nostalgique est évoqué avec complaisance, comme pour mieux accentuer les contraintes, " l'oppression" de la nouvelle société qui se construit sous la férule des missionnaires, dans une Polynésie " soumise" à un régime théocratique, contre lequel personne ne songerait à s'insurgeait. Ils ( les missionnaires) voyaient le drapeau anglais flotter superbement au vent". Tuteurs du roi Pomaré II, les missionnaires s'attristent de sa mort prématurée, car ils confiaient en lui de grands espoirs:
Finalement, ils jetteront leur dévolu sur le fils du défunt roi, qui sera couronné à quatorze ans le 24 Août 1824, au cours d'une cérémonie qui paraîtra grotesque à plus d'un participant, sous le nom de Pomaré III. Et puisqu'il fallait lui inculquer de bons principes, les protecteurs:
Mais il mourut en 1927. Dorsenne attribue indirectement cette mort au mauvais traitement auquel le gamin était soumis. C'est un thème d'ailleurs qui reviens souvent dans cette littérature de Radiguet à Loti, de Gauguin à Gerbault. Cette série de disgrâces célestes frappa les missionnaires, car le représentant au titre royale était Aïmita, une jeune fille de quinze ans, primesautière, avide de plaisirs, très sensible aux sirènes passéistes et, de plus de caractère très indépendant. Le couronnement d'Aïmita, devenue Pomaré Vahiné IV suit de près l'arrivée d'un missionnaire anglais Georges Pritchard qui sera l'un des personnages les plus controversés de ce XIXe siècle océanien.
Cette citation permet de se faire une idée du style et du ton de ce roman; il s'agit de décrire ce personnage, ce Rastignac des mers du Sud. Si le texte était contemporain à l'histoire, on pourrait parlait de littérature militante, mais que Dire d'une telle rhétorique, si ce n'est, qu'un siècle après l'événement, la France semble craindre encore Pritchard et le monde anglo-saxon.
C'est aussi à cette époque qu'apparaît le mouvement syncrétique religieux - les Mamaia - qui aurait emporté l'oeuvre missionnaire si les principaux chef tahitiens s'y étaient rallié; Dorsenne va donner de cet événement une vision assez politique. C'est le prophète de ce mouvement qui parle à la reine Pomaré:
Ce genre de discours - forme ou contenu peut-il être tenu par un prophète polynésien? La crise des Mamaia permet à l'auteur d'étudier la statégie qu'imaginent les missionnaires pour éviter de sombrer dans la tourmente, mais aussi d'en sortir renforcés, diviser les chefs tahitiens et isolé la reine Pomaré IV. Cette dernière souhaite dorénavant " s'affranchir à tout prix de la tutelle des étrangers".
Hélas, les événements qui vont se précipiter, mettent à mal ce désir : arrivée des pères catholiques, luttes religieuses, intervention de la France qui aboutit au protectorat de 1842. Le révérant Pritchard devenu consul d'Angleterre cherche per tous les moyens à obtenir l'annexion de Tahiti à son pays, qui ne répond pas à son attente, tandis que Moerenhout, consul des États-Unis, puis de la France, favorise l'entente franco-tahicienne qui se concrétisera en 1842. Pritchard essaiera de faire capoter cet accord, mais n'y réussira pas. Il est expulsé de Tahiti en 1844. Pour Dorsenne, la responsabilité des troubles revient à Pritchard seul: